SA‘DI

SA‘DI
SA‘DI

Parmi les auteurs classiques de l’Iran, il convient de réserver une place à part à Cheikh Sa‘di de Chir z, dont l’œuvre – en particulier le Gulist n et le Boust n – jouit depuis plus de six siècles d’une très grande popularité non seulement en Iran mais dans d’autres pays de l’Orient comme l’Inde ou la Turquie. C’est aussi par la traduction d’une partie de cette œuvre prestigieuse que l’Occident commença à s’intéresser, vers le milieu du XVIIe siècle, à la littérature persane et à y trouver des affinités avec les productions littéraires de quelques-uns de ses meilleurs auteurs.

Un grand voyageur

La biographie de Abu Abdul‘l h Mucharraf od-Din ibn Muslih od-Din, connu sous le nom de plume de Sa‘di, présente certaines lacunes. On apprend à travers son œuvre qu’il naquit à Chir z, ville à laquelle il resta attaché malgré un long séjour à l’étranger. Issu d’une famille de théologiens, le jeune Sa‘di commence à fréquenter l’école dans sa ville natale, grâce à la sollicitude d’un père cultivé qu’il perd dans son jeune âge. Quelques années plus tard, il gagne Bagd d, où il continue ses études de lettres et de sciences religieuses au célèbre collège Niz miyeh, fondé par Niz m ol Mulk, le ministre du sultan saldjukide Alp Arsal n. Il y suit aussi l’enseignement de quelques grands soufis de l’époque, comme Cheikh Chah b od-Din Sohravardi, Chams‘od-Din Abul Faradj ibn Al Djowzi et Cheikh Abd ol Kadir al Guilani (Djilani), dont l’influence sera certaine dans la formation intellectuelle du jeune étudiant. Après cette longue période d’études, Sa‘di rentre à Chir z. Mais l’invasion mongole et les bouleversements politiques dont cette ville était alors le théâtre obligent le poète à entreprendre dès 1226 une série de voyages qui le conduisent dans plusieurs pays musulmans. Grand voyageur, doué d’un sens de l’observation très aigu et d’une curiosité sans cesse à l’affût, Sa‘di se met à parcourir tour à tour la Mésopotamie, l’Asie Mineure, la Syrie, l’Égypte et le Hidj z, se lançant toujours dans de nouvelles aventures. Au cours de ces voyages, il fréquente les «hommes de toutes sortes et de toutes les conditions» et veut acquérir une expérience sans limites. C’est ainsi qu’à la suite d’une caravane il traverse les déserts de l’Arabie pour se rendre à La Mecque (pèlerin infatigable, Sa‘di répétera ce voyage quatorze fois). On le retrouve plus tard à K chgar, mêlé à une bande de petits écoliers qui se laissent divertir par ses plaisanteries et ses bons mots. Dans la ville de Soumen th au Gudjer t, après avoir gagné la confiance des brahmanes, il s’introduit dans leur temple afin, dit-il, de dévoiler le secret de leur idole la plus vénérée qui chaque matin tendait les bras vers le soleil, grâce au déclenchement d’un astucieux mécanisme; pris en flagrant délit par un gardien, il l’aurait précipité dans un puits et abattu à coups de pierre. En Syrie, prisonnier des croisés, il est condamné, avec un groupe de Juifs, à creuser des tranchées de fortifications autour de Tripoli. C’est un riche commerçant d’Alep qui lui rend sa liberté en le rachetant dix pièces d’or. Il lui donne sa fille en mariage, moyennant une dot de cent pièces. S’il faut en croire Sa‘di, loin de lui donner satisfaction, cette alliance fut de nature à provoquer le regret de ses jours de captivité.

Quoi qu’il en soit, après trente années passées hors de son pays, il regagne Chir z, où il se retire dans un ermitage jusqu’à la fin de sa vie, entouré du respect et de l’admiration de ses compatriotes. Assez âgé, riche en souvenirs et en expériences, «ayant glané quelques gerbes à chaque moisson», il se met à écrire.

Une œuvre abondante et polymorphe

L’œuvre de Sa‘di, rassemblée un demi-siècle après sa mort par le compilateur Mohamed Abu Bakr de Bisoutoun, se compose en grande partie de recueils de poésies, d’une demi-douzaine de traités en prose (ris leh ) et de deux ouvrages de morale intitulés le Boust n (Le Verger ), en vers, et le Gulist n (Le Jardin des roses ), en prose mêlée de vers, auxquels l’auteur doit sa réputation. Parmi les douze recueils de poésies dont l’ensemble constitue le Div n du poète, les plus importants sont les Qasidah (odes longues) en vers arabes, les Qasidah en vers persans et les Molamma‘ t (Les Étincelles ), poèmes où alternent vers arabes et persans. Les quatre recueils de ghazal (odes courtes) – dont les Khaw t 稜m (Les Bagues ) qui ont une très grande valeur du double point de vue de la pensée et de l’expression –, un livre de préceptes et de conseils intitulé S hibiyya , les Moqatta‘ t (Les Fragments ) et les Rubaiyy t (Les Quatrains ) forment la partie la plus notable de l’œuvre poétique de Sa‘di. Il faut mentionner aussi les Mut yab t ou les Hazliy t (Les Facéties ), enregistrées dans certains manuscrits sous le titre de Khabith t (Les Turpitudes ), pièces pour la plupart monotones, dépourvues de toute originalité artistique et composées selon l’auteur à la demande d’un gouverneur. Le genre lyrique (ghazal ) est celui dans lequel le poète a montré son talent et sa maîtrise. Sans jeux de mots excessifs et sans paraboles ennuyeuses, si abondants dans l’œuvre des grands auteurs classiques persans, les ghazal de Sa‘di sont l’expression fidèle et spontanée de ses sentiments et de ses expériences. C’est grâce à l’œuvre de Sa‘di que ce genre a pris son essor avant d’atteindre, un demi-siècle plus tard, à la perfection avec H fiz.

Sa‘di est considéré avant tout comme un moraliste, et il ne doit son immense succès qu’à ses deux ouvrages didactiques. Ayant rassemblé l’essentiel des matériaux de ces livres au cours de ses voyages, il publie le Boust n en 1257 (655 de l’hégire) et le Gulist n l’année suivante. Le premier est dédié à At bak Muzaffar od-Din Abu Bakr ibn Sa‘d Zangui, le second à son fils Sa‘d ibn Abu Bakr ibn Sa‘d Zangui de qui Sa‘di a pris son nom de plume. Ce sont des livres de morale dans lesquels l’auteur expose ses idées sous forme d’apologues émaillés d’une foule de proverbes et de sentences, dans un style à la fois simple et éloquent. Les souvenirs et les impressions de voyages (plus ou moins authentiques) constituent la toile de fond de ces ouvrages.

Le Boust n est un mathnavi en dix chapitres, qui traitent respectivement: de la justice et de l’art de gouverner; de la bienfaisance; de l’amour et de l’enthousiasme; de l’humilité; de la résignation; de la modération; du domaine de l’éducation; de la reconnaissance envers Dieu; du remords et du repentir; le chapitre X comprend des prières et la conclusion du livre.

Le Gulist n est de même inspiration et se divise en huit chapitres, qui ont pour titres: du caractère et de la conduite des rois; des mœurs des derviches; de la supériorité de la modération; des avantages du silence; de l’amour et de la jeunesse; de la faiblesse et de la vieillesse; de l’effet de l’éducation; des règles de la société. Le Gulist n fit l’objet de maintes imitations au cours des siècles, dont les plus célèbres sont le Bah rist n (Le Jardin printanier ) de Dj mi, écrit en 1487 (hég. 892), et le Kit b-i-Parish n (Le Pêle-mêle ) de Q ‘ ni, publié en 1836 (hég. 1252).

Un style d’une «facilité inaccessible»

L’œuvre de Sa‘di se distingue de celle des autres auteurs classiques persans par la simplicité du contenu et le charme du style. Évitant à la fois l’emphase lyrique, les visions abstraites et les contraintes techniques, foisonnantes dans les écrits de ses prédécesseurs, il a le mérite d’avoir donné aux leçons de morale les plus dures la forme expressive et souple de petites anecdotes, pour qu’elles soient à la portée de tout le monde et produisent un impact d’autant plus fort dans l’esprit des lecteurs. L’amour, mystique et bachique, la charité, la discrétion, la défiance, l’humour, la résignation, la convenance, la recherche de la vérité et le besoin du rêve y sont admirablement traités. La variété des thèmes et leur traitement parfois contradictoire ne permettent pas de trouver dans cette œuvre un système moral cohérent. Bien qu’il ait condamné le mensonge dans maints passages, Sa‘di n’hésite pas, par exemple, à soutenir dans la première historiette du Gulist n que «le mensonge opportun est préférable à la vérité qui sème la discorde».

En dépit de ces contradictions et de quelques autres opinions difficilement recevables pour le lecteur d’aujourd’hui (le poète nie par exemple catégoriquement que l’éducation puisse agir sur les êtres que la nature n’a pas doués), l’œuvre de Sa‘di continue, grâce à un style sobre, élégant, persuasif, à obtenir une audience partout où l’on étudie le persan. Une philosophie pratique se dégage de cette profusion de proverbes et de sentences enchâssés dans des anecdotes: elle considère la modération et la mesure comme les vertus essentielles qui permettent d’atteindre le bonheur, but suprême de la vie. D’autres thèmes concernant les différents aspects de la vie sociale – plus particulièrement la tolérance, la charité et l’amour du prochain – donnent à cette œuvre une valeur humaine et élèvent son auteur au rang des écrivains que l’on peut tenir pour les éducateurs de l’humanité. «On rencontre chez lui», écrit Barbier de Meynard, le traducteur du Boust n , «plus d’un trait qui rappelle la finesse d’Horace, la facilité élégante d’Ovide, la verve railleuse de Rabelais, la bonhomie de La Fontaine.» Il faudrait y ajouter une teinte de mysticisme, qui colore légèrement cette œuvre et lui donne son cachet oriental.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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